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"Nana", Emile Zola (1879-1880)

Dernière mise à jour : 30 mars 2022

Thèmes : hérédité - naturalisme - femmes - liberté - luxure - prostitution





Bonjour les curieux et les curieuses! Après vous avoir parlé de Gervaise dans mon article sur L’Assommoir (1876), je vous invite à découvrir le destin de sa fille Anna Coupeau, dite « Nana ».

Nana (1879-1880) est le neuvième tome de la saga des Rougon-Macquart. L’action du roman commence en 1867 et s’achève en 1870, c’est-à-dire au moment du déclin du Second Empire (1852-1871).


J’ai plus longuement écrit sur Emile Zola (1840-1902) dans l’article consacré à l’Assommoir donc je vous invite à aller le consulter. On retrouve, bien sûr, dans Nana le thème de l’hérédité qui est le fil rouge de la saga des Rougon-Macquart (sous-titrée « Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire »). Nana n’a pas le vice de l’alcool comme son père et sa mère mais elle a celui de la luxure et de la paresse. Les passages consacrés à l’enfance et l’adolescence de Nana dans l’Assommoir sont annonciateurs de son avenir.


Eléments de contexte historique

A. La prostitution sous le Second Empire


La prostitution ne constituait pas un délit sous le Second Empire, mais elle était règlementée et les filles devaient être enregistrées, elles étaient alors dites « filles soumises ». Celles qui travaillaient dans une maison étaient dites « à numéro » et celles qui travaillaient chez elles, « en cartes ».


Nana n’est pas une prostituée ordinaire puisqu’elle est ce que l’on appelait une demi-mondaine ou cocotte c’est-à-dire une femme entretenue par des hommes riches en échange de faveurs sexuelles. Emile Zola s’est inspiré des figures de Cora Pearl, Léonide Leblanc et Blanche d’Antigny.

Les demi-mondaines connaissent un grand succès auprès des hommes promis à un mariage sans amour et sans éclat. C’est notamment le cas du comte de Muffat qui n’a clairement pas connu le bonheur conjugal/sexuel avec sa femme (la réciproque est également vraie). La société ne tient bien évidemment pas rigueur aux hommes d’avoir fréquentés des courtisanes. Ainsi, Daguenet qui fut un des amants connus de Nana, fera un bon mariage en épousant la fille du comte de Muffat.


Compte tenu de la profession de Nana, il n’est pas étonnant de remarquer qu’un objet en particulier occupe une grande place dans le roman: le lit. Le lit où Nana se prélasse pendant que ses admirateurs patientent sur le pas de sa porte. Le lit où Nana accueille ses amants. Un de ses amants dépensera même 50 000 francs pour lui fabriquer un lit car « Nana rêvait d’un lit comme il n’en existait pas, un trône, un autel, où Paris viendrait adorer sa nudité souveraine. » Zola n’hésite pas à jouer la carte de la provocation en utilisant un vocabulaire religieux. La chapelle c’est la chambre de Nana, l’autel c’est le lit, quant à la divinité, c’est évidemment Nana.


B. La menace de l’effondrement du Second Empire


C’est un Second Empire menacé et oscillant qui sert de décor à l’action de ce roman de Zola. Un empire qui s’écroule à cause de hautes sphères corrompues qui dilapident l’argent dans la luxure et le luxe. Dans la figure du comte de Muffat en particulier, c’est l’Empire que Zola décrie son immoralité, son luxe insensé, qui vont conduire la France à la défaite de Sedan (1870).


Zola fait référence aux tensions grandissantes entre la France de Napoléon III et la Prusse d’Otto von Bismarck. Il met ainsi dans la bouche de ses personnages des arguments de propagande qui ont contribué à préparer la population à la guerre entre les deux pays (1870): « Tata Néné se penchait à l’oreille de Labordette pour demander qui était ce Bismarck, qu’elle ne connaissait pas. Alors, Labordette, froidement, lui conta des histoires énormes: ce Bismarck mangeait de la viande crue ; quand il rencontrait une femme près de son repaire, il l’emportait sur son dos ; il avait déjà eu de cette manière trente-deux enfants, à quarante ans. »


Le roman s'achève sur l'annonce de la guerre entre la France et la Prusse: le dernier souffle de Nana se conjugue avec le dernier souffle de l'Empire.

II. Nana, une femme libre?

A. Nana tentatrice et vengeresse


La première fois que le lecteur rencontre la Nana « adulte », il fait la connaissance d’une femme libérée qui, après une attente interminable pour les spectateurs, fait son entrée sur la scène d’un théâtre parisien: « Elle était nue avec une tranquille audace, certaine de la toute-puissance de sa chair. Une simple gaze l’enveloppait ; ses épaules rondes, sa gorge d’amazone dont les pointes roses se tenaient levées et rigides comme des lances, ses larges hanches qui roulaient dans un balancement voluptueux, ses cuisses de blonde grasse, tout son corps se devinait , se voyait sous le tissu léger, d’une blancheur d’écume. C’était Vénus naissait des flots, n’ayant pour voile que ses cheveux ».


Ce corps, Nana lui procure mille soins et l’admire. C’est sur son corps et non sur son esprit que les autres personnages se concentrent. Nana est présentée comme une sotte dont on se moque et que l’on n’hésite pas à comparer à une pouliche (avec toutes les blagues de mauvais goûts que cela implique). Nana en rit d’ailleurs. Sans doute qu’elle n’a que faire de ce que les femmes du monde pensent d’elle quand leurs maris finissent dans son lit...


Nana est une femme éprise de liberté et qui le revendique. Elle refuse de se laisser emprisonner, que ce soit par le mariage ou par un accord financier: « D’ailleurs, mon cher, si ça ne te convient pas, c’est bien simple…Les portes sont ouvertes…Voilà ! il faut me prendre comme je suis. » Elle ne cède pas facilement et n’hésite pas à faire poireauter ses amants sur le pas de sa porte. Elle met les hommes à ses pieds et les humilie:

  • Elle pourrait apparaître comme la vengeresse, la main armée de son milieu. Elle humilie et ruine ceux qui méprisent et exploitent les milieux populaires. Nana est, selon le journaliste Fauchery, la « mouche dorée », celle qui « veng[e] les gueux et les abandonnés dont elle était le produit. Cependant, si elle venge en quelque sorte son milieu, elle ne semble pas le faire consciemment et ne le revendique pas.

  • Nana est une dangereuse tentatrice qui telle une sirène antique attire les hommes transis vers le naufrage. Plus on tourne les pages et plus c’est la démesure. Nana en demande toujours plus et ruine les hommes les uns après les autres. Zola écrit: « Nana, en quelques mois, les mangea goulument, les uns après les autres. Les besoins croissants de son luxe enrageaient ses appétits, elle nettoyait un homme d’un coup de dent. »

  • L’ascension de Nana n’est pas une aventure douce et légère. La ruine n’est pas le pire sort qui attend ceux qui auraient le malheur de vouloir la posséder. Les frères Hugon en feront les frais et le seuil de la chambre de Nana finira barré d’une trace de sang.

B. Vulnérabilité et insouciance

Malgré cette liberté affichée, Nana apparait cependant esclave de son vice. Trop au chaud dans son luxueux hôtel particulier, elle s’ennuie: « Cependant, dans son luxe, au milieu de cette cour, Nana s’ennuyait à crever. Elle avait des hommes pour toutes les minutes de la nuit, et de l’argent jusque dans les tiroirs de sa toilette, mêlé aux peignes et aux brosses ; mais ça ne la contentait plus, elle sentait comme un vide quelque part, un trou qui la faisait bâiller. » Alors, elle décide d’aller faire le trottoir.

Si Nana met les hommes à ses pieds, elle, c’est une femme (Satin) qui la fait courir partout. Elle s’est également faite dominée par un homme, Fontan, pour qui elle se prostituera et se laissera battre.


Insouciante, Nana l’est d’autant plus avec son fils Louiset, enfant illégitime d’un « monsieur » (un bourgeois) dont elle s’occupe peu. Elle le cajole et joue avec lui comme elle le fait avec son petit chien, Bijou. L’instinct maternel est quasi inexistant chez cette femme qui n’est elle même qu’une enfant.


C. Fatalité et poids de l’hérédité


Dans l’oeuvre de Zola, l’hérédité apparait comme une fatalité, une malédiction. Ses protagonistes ne peuvent y échapper. Fauchery écrit que Nana est « née de quatre ou cinq générations d’ivrognes, le sang gâté par une longue hérédité de misère et de boisson, qui se transformait chez elle en un détraquement nerveux de son sexe de femme. »


Nana tente d’échapper à son statut de demi-mondaine en interprétant le rôle d’une femme honnête : c’est un échec.


Louiset permet aussi à Zola de relancer sa théorie de hérédité. Puisqu’il est le fils de Nana, et donc le rejeton d’une famille qui a une tare, il a alors le « sang pauvre » qui le condamne à avoir une santé très fragile. C’est également via son fils que Nana contractera la vérole qui leur sera fatale à tout les deux.


Conclusion


Alors, est-ce que cela vous a donné envie de découvrir en détails le destin de Nana la tentatrice qui rend les hommes fous et les pousse à la ruine, à la prison, à la mort ou à la disgrâce ?


Dites moi en commentaire ce que vous avez pensé de ce roman si vous l’avez lu ;) A bientôt dans un prochain article!


Bibliographie

  • ZOLA E., Nana, Livre de Poche

Pour aller plus loin

  • ZOLA E., L’Assommoir (1876)

  • BALZAC H., Splendeurs et misères des courtisanes (1848-1852)

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