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"Le Horla", Guy de Maupassant (1886 et 1887)

Dernière mise à jour : 30 oct. 2022

Thèmes : FANTASTIQUE – IDENTITE – PSEUDOSCIENCES - FOLIE

On se prépare pour Halloween avec un petit livre, qui n’en est pas moins intéressant : Le Horla de Guy de Maupassant.

Ce n’est pas la première fois que l’on parle de Guy de Maupassant (1850-1893) sur ce blog (cf article Bel-Ami). S’il a refusé d’être attaché à un mouvement littéraire défini, Maupassant fut un disciple de Gustave Flaubert, ami d’enfance de sa mère avec qui il a entretenu une longue correspondance. Il subit donc l’influence du chef de file des réalistes en France, qui pensait que l’écrivain devait se « faire sentir » ce qu’il écrivait. Il a également fait un passage par les cercles naturalistes et a contribué, avec Boule de Suif, aux Soirées de Médan (1880), recueil collectif de six nouvelles, qui peut être considéré comme un manifeste du naturalisme. Écrivain prolifique (on lui doit six romans, plus de 300 nouvelles et de nombreuses chroniques), il s’est lancé, à la fin de sa vie, dans l’écriture de récits fantastiques en s’intéressant particulièrement aux thèmes de l’angoisse et de la folie. Cette fin de vie fut marquée par la souffrance causée par la syphilis qu’il a contracté quelques années plus tôt, qui entrainait notamment maux de tête et dépression. À partir de 1891, il cessa d’écrire et tenta même de mettre fin à ses jours, l’année suivante, avant d’être interné. Il mourut peu de temps après de paralysie générale causée par la syphilis.

Le Horla est un récit qui appartient au registre du fantastique, c’est-à-dire qu’il se déroule dans un décor familier qui va être perturbé par apparition d’un phénomène étrange (ex : surnaturel). Il est d’ailleurs intéressant de noter que c’est rarement le phénomène qui va vers l’individu mais l’individu qui va à la rencontre du phénomène. Le lecteur est hanté par une question entêtante : le narrateur est-il fou ? On est donc dans un pur récit fantastique face auquel le lecteur ne saurait distinguer le réel de l’irréel, le possible de l’impossible.

La première partie de cet article est consacré au contexte de l’œuvre (I) tandis ce que la seconde porte sur deux thématiques majeures de l’œuvre : la question de l’identité et la création par Maupassant d’une créature singulière (II)

I. Une œuvre et son contexte


A. Deux versions

Il existe deux versions de ce texte. La première fut publiée en 1886 dans le Gil Blas et la seconde dans un recueil en 1887. Le fond de l’histoire reste le même mais la forme varie et il est intéressant de comparer ces deux versions. Dans la version de 1886, le narrateur, victime réelle ou imaginaire du Horla, est enfermé dans un asile pour aliénés et fait le récit de son cas devant une assemblée de médecins. Dans la seconde version, Maupassant donne à lire le journal de la victime. Qu’est-ce que ça change ?

  • Version n°1 (1886) : elle est plus « brute », plus linéaire et ne favorise pas l’introspection. Cependant, ce qui est particulièrement intéressant dans cette version c’est la présence du Dr Marrande. Ce dernier a pris en charge le narrateur et ne sait quoi penser de son patient : est-il fou ou est-il sain d’esprit ? Maupassant nous met donc en présence d’un scientifique qui doute. Au lieu d’exclure immédiatement la thèse surnaturelle qui est, par nature, contradictoire avec la thèse scientifique, l’auteur imagine une possible validation du surnaturel par le scientifique.


  • Version n°2 (1887) : la forme du journal est associée à l’autobiographie. Cela donne tout de suite un côté plus réaliste à la nouvelle (d’autant plus important qu’il s’agit d’un récit fantastique). On peut suivre, pas à pas, l’évolution du narrateur, ses expériences et ses angoisses. Cette version offre le témoignage de quelque chose d’invraisemblable. Le journal n’est, par essence, pas destiné à être lu par une autre personne que celui qui le rempli. Cela contribue donc à renforcer le sentiment que le narrateur dit vrai, sans pour autant que le lecteur en soit persuadé.

B. Le développement des sciences et pseudosciences

Maupassant fait cohabiter dans son récit la science, les légendes populaires (ex : un mal mystérieux qui touche une population…) et les pseudosciences. Ce choix est représentatif du contexte dans lequel ce récit a été écrit : si le développement de la science contribue à percer certains mystères, on assiste en parallèle au développement de pseudosciences qui divisent l’opinion.

En effet, sous l’impulsion d’Auguste Comte (1798-1857), le XIXes est témoin du développement du positivisme. Ce dernier substitue la question du « pourquoi ? » par le « comment ? » et rejette la métaphysique. La science est envisagée comme une clé permettant de comprendre le monde. En parallèle du positivisme, on assiste au développement du scientisme qui accorde au progrès scientifique une valeur absolue. Considéré par certains comme une forme simplifiée, voire naïve, du positivisme, le scientisme attribue à la science la capacité de résoudre progressivement tous les problèmes des hommes.

En ce qui concerne les pseudosciences, Maupassant fait surtout référence dans ce récit au magnétisme, tout particulièrement dans la seconde version du texte. On doit cette notion à l’autrichien Franz-Anton Mesmer (1734-1815) qui vint en France en 1778 où il exporta sa méthode de guérison par passes magnétiques, appelé mesmérisme, fondée en partie sur le phénomène de l’hypnose. Cependant, en 1784, deux commissions officielles de savants démontrèrent que le mesmérisme était dénué de tout fondement scientifique, d’où son appartenance aux pseudosciences.

Un siècle plus tard, l’hypnose et le magnétisme étaient toujours populaires. À Paris, la bonne société allait assister aux cours publics du professeur Jean-Martin Charcot à la Pitié Salpêtrière (1825-1893). Ce dernier réalisa un certain nombre d’expériences liées à l’hypnose sur des patientes atteintes d’hystérie. Maupassant, qui a assisté à certains de ces cours, était très sceptique par rapport à l’hypnose. Son narrateur lui, finira par douter…

II. Identité et être nouveau : qui suis-je ? qu(i) est-ce ?


A. Identité et perception

Le Horla met en scène un homme qui doute de sa perception et qui doute de son identité puisqu’il ne saurait dire s’il est fou ou sain d’esprit.

Le Horla contient un passage particulièrement symbolique à l’égard de l’identité. Il s’agit du moment où le narrateur ne peut plus se voir dans le miroir : « Et bien…on y voyait comme en plein jour…et je ne me vis pas dans ma glace ! Elle était vide, claire, pleine de lumière. Mon image n’était pas dedans…Et j’étais en face…Je voyais le grand verre limpide, du haut en bas ! Et je regardais cela avec des yeux affolés, et je n’osais plus avancer, sentant bien qu’il se trouvait entre nous, lui, et qu’il m’échapperait encore, mais que son corps imperceptible avait absorbé mon reflet. » (version 1886).

Le miroir est un objet particulièrement important lorsqu’il s’agit d’identité puisqu’il nous renvoie notre reflet. La philosophie est remplie de débats sur l’identité, l’existence d’un moi profond derrière des modifications physiques ou la simple identité grammaticale que l’on désigne par l’usage du pronom « je ». Sans entrer dans ces débats, on peut cependant considérer que notre reflet joue un rôle primordial dans la représentation que l’on a de nous-même. Retiré au narrateur, cela ne peut le rendre que plus confus sur son identité.

La psychose (ou non) du narrateur est également suscitée par son questionnement sur les capacités de perception des humains. Il questionne, à de nombreuses reprises, le réel en insistant sur la faiblesse des sens humains qui ne permettent pas de voir et sentir tout ce qui existe réellement. Ainsi le narrateur prête une oreille attentive à ce que dit le prêtre qu’il rencontre au Mont Saint Michel : « est-ce que nous voyons la cent millième partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les édifices, déracine les arbres, soulève la mer en montagnes d’eau, détruit les falaises, et jette aux brisants les grands navires, le vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, - l’avez-vous vu, et pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant. » (version 1887). Ce questionnement systématique peut conduire à la paranoïa en suscitant l’impression d’être entouré d’êtres invisibles. Qu’il s’agisse de la réalité ou d’une illusion les effets sont les mêmes puisque la souffrance du narrateur est bien réelle.

B. « Le Horla » : l’ « Être nouveau » ?

La figure surnaturelle inventée par Maupassant intrigue de par son nom qui peut être soumis à plusieurs interprétations. « Horla » peut ainsi être compris comme la contraction de « hors [de] là », c’est-à-dire que cet être serait à la fois là et pas là. Absent ou présent c’est bien la question que le lecteur se pose tout au long du récit.

Le Horla présente les caractéristiques de figures bien connues de l’univers fantastique :

  • Le vampire : avec la particularité qu’il aspire l’essence vitale sans aspirer le flux vital. « Cette nuit, j’ai senti quelqu’un accroupi sur moi, et qui, sa bouche sur la mienne, buvait ma vie entre mes lèvres. Oui, il la puisait dans ma gorge, comme aurait fait une sangsue. Puis il s’est levé, repu, et moi je me suis réveillé, tellement meurtri, brisé, anéanti, que je ne pouvais plus remuer » (version 1887).

  • Le spectre ou le fantôme : il est invisible. On ne sait en revanche pas s’il s’agit d’un revenant ;

  • Dans la version de 1887, le narrateur note dans son journal un épisode de quasi-possession qui lui fait faire des choses qu’il n’avait pas envie de faire, du moins qu’il n’avait pas conscience d’avoir envie de faire.

Le Horla présente également des caractéristiques plus singulières. S’il apparait la plupart du temps comme intangible, il est également tangible : « Je sens bien que je suis couché et que je dors, je le sens et je le sais…et je sens aussi que quelqu’un s’approche de moi, me regarde, me palpe, monte sur mon lit, s’agenouille sur ma poitrine, me prend le cou entre ses mains et serre…serre…de toute sa force pour m’étrangler. » (version 1887).

Comme on l’a relevé plus tôt, le narrateur parle beaucoup des insuffisances de l’homme. Il est intéressant de constater qu’il semble projeter ses insuffisances, à lui et à ses semblables, sur le Horla. Il le désigne ainsi comme « l’Être nouveau » qui serait venu remplacer les hommes. Le narrateur est cependant incapable de dire si le Horla souhaite ou non nuire à l’humanité.

Conclusion

Les deux versions de cette courte nouvelle de Maupassant allient peur de la folie et angoisse dans le confort de leurs maisons. Le récit est d’autant plus tragique si l’on connait le contexte de son écriture, c’est-à-dire la souffrance de son auteur qui l’a certainement beaucoup inspiré.

Bibliographie 

  • MAUPASSANT G., Le Horla, Le Livre de Poche, Libretti, 1994.

  • « Franz-Anton Mesmer », « Jean-Martin Charcot », « magnétisme », Larousse.fr

Pour aller plus loin

  • MAUPASSANT, G, La chevelure, 1888.

  • MAUPASSANT, G, Lettre d’un fou, 1885.

  • Émission de radio : Maupassant le fantastique 2/4 : Le Horla, Les chemins de la philosophie par Adèle Van Reeth et Philippe Petit,

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