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"Le Tartuffe ou l'Imposteur", Molière (1664-1669)

Dernière mise à jour : 8 oct. 2023

THEMES: RELIGION - LIBERTINAGE - LIBERTÉ D'EXPRESSION


Bonjour les curieux et les curieuses ! Dans cet article je vous parle d’un des plus gros drama du théâtre français : Tartuffe de Molière (1664-69). La prochaine fois que vous entendrez quelqu’un dire qu’on ne peut plus rien dire aujourd’hui, vous pourrez répondre qu’au XVIIIe siècle non plus ! ;)


Lorsque Molière (Jean-Baptiste Poquelin de son vrai nom ; 1622-1673) fait jouer Tartuffe, il est une véritable star. Lui qui était destiné à hériter de la charge de tapissier du roi, s’oriente vers le théâtre, d’abord comme acteur puis comme auteur et chef de troupe. Ses comédies connaissent un grand succès, malgré les scandales. Il dispose aussi du soutien du roi de France, Louis XIV (1638-1715), qui lui a même fait l’honneur d’être le parrain de son fils.


Tartuffe est une comédie en 5 actes et en vers parue en 1664. La pièce est interdite une première fois après la représentation donnée aux fastueuses fêtes de l'Île enchantée qui se sont déroulées à Versailles. La pièce sera de nouveau brièvement autorisée en 1667 puis interdite. Elle ne sera finalement définitivement autorisée qu'en 1669.


Si la pièce a été publiée une première fois en 1664, il faut noter que le texte publié aujourd’hui correspond à version augmentée écrite par Molière en 1667. La version originale n’a que 3 actes (plus ou moins les actuels actes I, III et IV) et non 5. Molière y a développé des intrigues qui paraissent assez secondaires, notamment la romance entre Marianne et Valère. Je vous en dit plus dans le II de cet article et dans la conclusion.


Tartuffe est un supposé directeur de conscience, censé guider Orgon dans son parcours spirituel. Cependant, il tombe amoureux de la maitresse de maison, Elmire, et sombre dans l’hypocrisie. Molière s’inspire d’une histoire du Moyen-Âge. Le mot « tartuffe », forgé à partir du nom d’un personnage de théâtre italien, est devenu un nom commun désignant un hypocrite.


Pourquoi cette pièce a-t-elle autant dérangée ? Pourquoi le soutien du roi de France n’a-t-il pas été suffisant ? Je vous explique !


I. Une pièce comique….

1. Les personnages

Comme très souvent chez Molière, ses personnages ne sont pas issus de l’aristocratie (comme c’est le cas pour la tragédie) mais de la bourgeoisie et de la classe domestique :

  • Orgon : Bourgeois sous l’influence de Tartuffe pour qui il dénigre sa femme et ses enfants. Sa mère, Mme Pernelle, est tout autant en admiration devant Tartuffe que son fils.

  • Tartuffe : Personnage central de la pièce et qui lui a donné son nom. Il faut cependant attendre l’acte III scène 2 pour le voir apparaitre. Hypocrite, manipulateur, il s’avèrera aussi cruel puisqu’il veut retirer sa demeure à Orgon.

  • Elmire : Épouse d’Orgon. Femme discrète, délaissée par son mari qui ne vit et respire que via Tartuffe. Elle va habilement jouer de l’attirance que Tartuffe éprouve pour elle pour le piéger.

  • Dorine : Servante de la maison d’Orgon. Personnage haut en couleurs et femme qui n’a pas la langue dans sa poche, même lorsqu’il s’agit de s’adresser à son maître. Elle est un des personnages les plus comiques de la pièce et des plus ingénieux (avec Elmire) pour essayer de se débarrasser de Tartuffe.

  • Cléante : Beau-frère d’Orgon qui tente de porter la voix de la raison.

  • Damis : Fils d’Orgon dont l’impulsivité met en difficulté l’exécution d’un plan plus abouti pour se débarrasser de Tartuffe.

  • Marianne et Valère : Marianne est la fille d’Orgon. Marianne et Valère n’ont pas vraiment d’autre rôle dans la pièce que celui d’œuvrer, sans grand succès, à leur mariage.

2. Les ressorts du comique

Molière a recours à divers instruments pour susciter le rire chez le spectateur :

  • Le comique de répétition : Exemple à l’acte I scène 4: Première apparition d’Orgon. Dorine explique à Orgon que sa femme Elmire s’est trouvée mal et Orgon ne fait que répéter « Et Tartuffe? » « Pauvre homme! » (alors que ce dernier se porte très bien).

  • Les sous-entendus grivois (la pièce oppose d’ailleurs libertinage et dévotion): Exemple à l’acte III scène 2: Tartuffe : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir. / Par de pareils objets les âmes sont blessées, / Et cela fait venir de coupables pensées. ; Dorine : « Vous êtes donc bien tendre à la tentation, / Et la chair sur vos sens fait grande impression ? / Certes, je ne sais pas quelle chaleur vous monte : / Mais à convoiter, moi, je ne suis point si prompte ; / Et je vous verrais nu du haut jusques en bas, / Que toute votre peau ne me tenterait pas. »

  • Comique de geste : Exemple à l'acte IV scène 5 : Elmire tousse pour faire sortir son mari de sous la table mais il reste dissimulé donc elle continue de tousser.

  • Quiproquo : Exemple à l’acte II scène 1 : Marianne pense que son père souhaite la marier à Valère alors qu’il veut en fait la marier à Tartuffe.

  • L’ironie/le sarcasme : Exemple à l’acte II scène 3: Dorine pousse Marianne à ne pas accepter d’épouser Tartuffe mais à réfléchir à un plan pour la soustraire à ce mariage. Marianne menace de se tuer si on l’oblige. Elle pense aussi que c’est à Valère de se battre pour que ce mariage ait lieu. Dorine se moque d’elle : « Non, il faut qu’une fille obéisse à son père,/ Voulût-il lui donner un singe pour époux. / Votre sort est fort beau, de quoi vous plaignez-vous? » (vers 654-656)

II. …qui fait grincer des dents

Quand j’écris « grincer des dents », on pourrait presque parler d’un euphémisme. Certaines réactions à la pièce ont été particulièrement violentes, certains détracteurs appelant à brûler Molière et sa pièce !


1. L’interdiction de Tartuffe ou le combat de Molière pour la liberté d’expression

En 1664, et malgré la protection du roi, les dévots obtiennent l'interdiction de Tartuffe. Molière n’abandonne pas l’idée de pouvoir faire de nouveau jouer la pièce et va y consacrer toute son énergie. Il finit par obtenir l’autorisation du roi de la rejouer en 1667. La pièce s’appelle désormais Limposteur. Il s'agit d'une version remaniée, disposant de 5 actes, et qui fait notamment intervenir un prince (en fait Louis XIV), en deus ex machina, pour venir sauver la famille d’Orgon de la ruine.


La première a lieu à Paris et c'est un succès, mais dès le lendemain, le président du parlement de Paris (en charge de la police en l’absence du roi), Guillaume de Lamoignon, profite du fait que Louis XIV soit à la guerre pour faire interdire la pièce sous prétexte que l’interdiction de 1664 n’avait pas été révoquée. Molière n’arrive pas à obtenir de Lamoignon de lever l’interdiction et décide d’écrire une lettre à Louis XIV qui fait alors le siège de Lille. Entre temps, l’archevêque de Paris va jusqu’à promettre l’excommunication (sanction la plus grave que l’Église catholique peut prendre) à ceux qui feraient représentés en public ou lire Tartuffe.


Durant les années qui suivent, Molière fait jouer d’autres pièces (Dom Juan, Le Misanthrope, L’Avare, Amphytrion) mais toujours pas de Tartuffe. Finalement, le 2 février 1669, Louis XIV signe la paix de l’Église/paix clémentine, un acte qui lui donne les coudées franches en matière religieuse. Le monarque donne ensuite l’autorisation de Tartuffe.


Il aura donc fallu 5 années pour que Molière puisse obtenir une autorisation définitive de jouer sa pièce (remaniée) !


2. Le contexte religieux : jésuites vs jansénistes

Pour comprendre comment les dévots ont obtenu l’interdiction de la pièce, il faut connaitre quelques éléments du contexte politique et religieux de l’époque. Je ne vais pas me lancer dans une explication théologique détaillée mais juste vous donner l’essentiel :)


Pour rappel, Louis XIV est un monarque absolu de droit divin. Son pouvoir repose donc sur la revendication qu'il a été choisi par Dieu pour occuper ce rôle. La monarchie catholique française est soutenue par le Vatican. Avant même l'instauration de la monarchie dite absolue, la France et le Vatican avait une relation d’alliés : le Vatican soutient la légitimité du monarque en échange de quoi, le Vatican obtient le soutien de la France en cas de besoin.


Les bouleversements religieux en Europe ont pris un tournant bien avant le règne de Louis XIV avec la Réforme protestante du XVIes. Si la Réforme a mené à l’émergence du mouvement protestant, elle a aussi conduit, en réaction, à un certain nombre de réflexions théologiques de la part de l’Église catholique (la Contre-Réforme). Ces questionnements religieux sont toujours bien présents pendant le règne de Louis XIV.


Le pouvoir du Roi de France est soutenu par l’ordre des jésuites qui sont les membres de la Compagnie de Jésus ou de la Société de Jésus. Cette communauté a été créée en 1540 par (Saint) Ignace Loyola. Pour faire simple, les jésuites croient qu'une personne peut obtenir la grâce de Dieu en faisant de bonnes actions, en expiant ses péchés et en se confessant. Ils laissent donc une place importante à la liberté individuelle puisque c’est par ses actions qu'un individu peut obtenir la grâce. Il fait donc sens qu'une personne pieuse, comme Orgon, se fasse aider d'un directeur de conscience pour l'aider à obtenir la grâce. Les jésuites sont donc proches du Vatican.


Le mouvement janséniste apparait lui un peu plus tard que le mouvement jésuite. Les jansénistes, sous le règne personnel de Louis XIV, sont des disciples de Cornelius Jansens (1585-1638), plus connu sous le nom de Jansénius, un théologien néerlandais qui fut évêque d’Ypres (dans l'actuelle Belgique). On lui doit l’Augustinus, publié à titre posthume en 1640, qui est le résultat de ses raisonnements théologiques. L'ouvrage s'intitule ainsi parce que les jansénistes reprennent certaines thèses de Saint Augustin. Les jansénistes considèrent que la grâce a été accordée par Dieu en amont de l’existence des individus et qu’elle ne peut donc pas être obtenue par les actes. Les jansénistes contestent donc la doctrine jésuite qui veut que les hommes puissent obtenir la grâce par leurs bonnes actions. Les jansénistes l'autorité du Pape et son une potentielle menace pour le règne du souverain français.


Pour celles et ceux qui sont toujours là, vous l'aurez compris, sous son règne, Louis XIV a besoin des jésuites et considère les jansénistes comme une menace. Il ne peut donc pas se permettre de se mettre les premiers à dos. Or, lorsque Molière publie Tartuffe et se moque ouvertement des faux dévots, il offense les jésuites.


Conclusion


Figurez-vous que le drama Tartuffe continue aujourd’hui! On ne dispose plus la version de la pièce de 1664 mais George Forestier, spécialiste de Molière, a essayé de recréer le premier jet. En 2022, la Comédie Française fait jouer « Tartuffe ou l’Hypocrite » en s’appuyant sur le texte de Forestier. Peu après, Forestier attaque la Comédie Française en justice pour sa pièce et demande des droits d’auteurs, estimant que sa version est une œuvre de création. Une question clé qui doit être tranchée : le texte de 1664 est-il de Forestier ou de Molière ?


J’espère que cet article vous aura plu. Si c’est le cas, n’hésitez pas à le liker, à laisser un commentaire et à le partager :)


Bibliographie

  • MOLIÈRE, Le Tartuffe ou l’Imposteur, Librio

Pour en savoir plus

  • Sur la différence entre les jésuites et les jansénistes: ici

  • Sur l’affaire Tartuffe : Émission Autant en emporte l’histoire: Molière et l’affaire du Tartuffe, France Inter, 10 mars 2019.

  • Sur l’affaire George Forestier vs Tartuffe : ici

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