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"Pierre et Jean", Guy de Maupassant (1887/88)

Dernière mise à jour : 19 févr. 2023

Thèmes: Mariage - Argent - Frères ennemis - Bourgeoisie



Hello à toutes et à tous ! J’espère que vous avez passé un bon été. Le mien m’a permis de réfléchir au développement d’Eclaire Ta Lanterne et je suis très contente de publier un nouvel article et de me préparer à vous accompagner tout au long de cette année ! Pour bien commencer, on se retrouve pour analyser l’œuvre d’un auteur dont on a déjà beaucoup parlé sur ce blog : Guy de Maupassant (1850-1893 ; cette analyse étant déjà très longue, je vous invite à consulter les analyses de Bel-Ami et Une Vie pour en savoir plus sur l'auteur).


L’action de Pierre et Jean, quatrième roman de Guy de Maupassant, se déroule en Normandie (Le Havre), terre natale de Maupassant qui sert de cadre à la plupart de ses romans. Le roman s’ouvre sur une journée en famille des plus sympathiques mais l’annonce d’un héritage destiné uniquement à Jean va venir ébranler cette jolie photo de famille et faire remonter à la surface des secrets que certains auraient aimés garder enfouis.


Cette analyse n’est pas garantie sans spoiler parce qu’il n’y a bien que M. Roland pour ne pas se douter que si un ami de la famille lègue sa fortune a un seul de ses enfants, c’est possiblement dû au fait qu'il s'agit en fait de son fils naturel. Pierre et Jean n’est de ce point de vue-là pas un roman à lire pour l’originalité de la trame narrative. Le sujet de Pierre et Jean aurait d’ailleurs été inspiré à Maupassant par un fait-divers que lui aurait rapporté, au début de l’été 1887, sa voisine d’Étretat, Hermine Lecomte Du Noüy. L’auteur mettra seulement deux mois et demi à écrire ce roman.


I. La thématique des frères ennemis


Pierre et Jean sont à inscrire dans la lignée des frères ennemis : Caïn et Abel, Étéocle et Polynice, Romulus et Remus, Moïse et Ramsès…L’expression de « frères ennemis » ne sous-entend pas nécessairement l’existence de lien de sang mais bel et bien celle d’un antagonisme. Le cinéma offre plusieurs exemples : Docteur Xavier et Magnéto (X-Men), Obi-Wan Kenobi et Anakin Skywalker (Star Wars)…


Dès le chapitre 1, Maupassant dissémine des éléments qui éloignent les deux frères plus qu’ils ne les rapprochent :

  • Jean est blond, Pierre est brun

  • Jean est « calme », Pierre est « emporté "

  • Jean est « doux », Pierre est « rancunier »

  • Jean s’est engagé dans des études de droit et n’en a pas dévié tandis ce que Pierre s’est longtemps cherché avant d’opter pour la médecine.

Maupassant décrit l’évolution du sentiment de jalousie que Pierre éprouve pour son petit frère. S’il s’agit d’abord d’une jalousie bien innocente que l’on retrouve chez les enfants qui craignent que l’affection de leurs parents se reporte sur le dernier né, elle évolue vers une rivalité d'adultes qui apparait lors d’occasions banales (la balade en barque par exemple qui devient l’occasion de faire un concours de force). Maupassant écrit :


« Certes ils s’aiment, mais ils s’épiaient. Pierre, âgé de cinq ans à la naissance de Jean, avait regardé avec une hostilité de petite bête gâtée cette autre petite bête apparue tout à coup dans les bras de son père et de sa mère, et tant aimées, tant caressée par eux. Jean, dès son enfance, avait été un modèle de douceur, de bonté et de caractère égal ; et Pierre s’était énervé, peu à peu, à entendre vanter sans cesse ce gros garçon dont la douceur lui semblait être de la mollesse, la bonté de la niaiserie et la bienveillance de l’aveuglement. […] Depuis qu’il était homme, on ne lui disait plus « Regarde Jean et imite-le ! » mais chaque fois qu’il entendait répéter : « Jean a fait ceci, Jean a fait cela, » il comprenait bien le sens et l’allusion cachée sous ces paroles. » »


Cette opposition ne repose pas seulement sur des différences physiques et de caractères. Elle est aussi créée par rapport aux femmes. La charmante veuve, Mme Rosémilly, a un penchant pour Jean. La serveuse du bar du village décrit à Pierre son frère comme un « beau blond à grande barbe » et un « joli garçon ». Ce que redoute Pierre par-dessus tout c’est que la femme la plus importante de sa vie, c’est-à-dire sa mère, lui préfère son frère. C’est la raison pour laquelle il vit très mal le fait que sa mère s’arrange pour obtenir pour Jean le bureau qu’il convoitait pour lui-même. Lorsque la vérité éclate, Mme Roland qui jusque-là avait contribuer à maintenir la paix entre les deux fils, se retrouve à contribuer à leur séparation.


II. L’argent


Les transformations qui affectent la société française sous la IIIème République sont récurrentes dans l’œuvre de Maupassant et si vous souhaitez en savoir davantage, je vous invite à consulter les analyses portant sur Une Vie et Bel-Ami. Pour l’expliquer simplement, on passe progressivement d’une société dominée par ceux qui disposent d’un titre de noblesse à un ordre social régit par la possession et l’argent.


La famille Roland dépeinte par Maupassant dans Pierre et Jean est issue de la petite bourgeoisie. Elle a acquis une petite fortune par le travail ce qui lui a permis d’acquérir une petite propriété en Normandie et d’offrir une éducation aux deux garçons.


Maupassant utilise sa plume pour explorer, de manière assez cruelle, le rapport de la bourgeoisie à l’argent en décrivant la réaction des différents personnages à l’annonce de la mort de M. Maréchal :

  • Mme Roland : si elle laisse couler sur ses joues des « larmes silencieuses », elle n’est pas mécontente de voir son cadet hériter d’une petite fortune ;

  • M. Roland : il est apparemment tiraillé entre la cupidité et la décence. Maupassant écrit : « Roland songeait moins à la tristesse de cette perte qu’à l’espérance annoncée. Il n’osait cependant interroger tout de suite sur les clauses de ce testament, et sur le chiffre de la fortune ».

  • Quant au notaire (qui vient, rappelons-le, annoncer un décès), il dit : « J’ai été bien aise […] de vous annoncer moi-même la chose. Ça fait toujours plaisir d’apporter aux gens une bonne nouvelle. »

III. Le mariage


Pierre et Jean est aussi un récit sur le mariage. Si Maupassant s’est attardé plus en détails sur la question avec Une Vie, il l’envisage dans Pierre et Jean via deux femmes :

  • Mme Rosémilly : si vous vous attendiez à la naissance d’une histoire d’amour passionnée entre Jean et Mme Rosémilly, passez votre chemin. Si la jeune veuve accepte la demande en mariage du jeune homme c’est, d’une part, sans effusion romantique (elle répond à Jean « Moi je veux bien ») et, d’autre part, le fruit d’un raisonnement comptable. Grâce à son héritage, Jean devient un parti plus intéressant. En préambule à la demande de Jean, elle lui dit : « Mon cher ami vous n’êtes plus un enfant, et je ne suis plus une jeune fille. Nous savons fort bien l’un et l’autre de quoi il s’agit, et nous pouvons peser toutes les conséquences de nos actes. Si vous décidez aujourd’hui de me déclarer votre amour, je suppose naturellement que vous désirez m’épouser. »

  • Mme Roland : comme tant d’autres femmes de son époque, Mme Roland ne s’est pas mariée par amour et comme certaines d’entre elles, c’est un autre homme que son mari qui va susciter chez elle ce sentiment. De là, Pierre est l’enfant issu d’une union conventionnelle tandis ce que Jean est le fruit d’une relation interdite et passionnée.

Si Mme Roland n’est pas un personnage particulièrement attachant, on peut comprendre le peu d’intérêt qu’elle éprouve pour son mari. M. Roland est l’élément comique (et/ou pathétique) de Pierre et Jean. Il représente le mari cocu qui n’a jamais soupçonné l’adultère de sa femme alors même qu’il décrit à plusieurs reprises la quasi-omniprésence de M. Maréchal chez les Roland. Il relate ainsi le jour de la naissance de Jean : « Dans sa hâte [M. Maréchal] a pris mon chapeau au lieu du sien. Je me rappelle cela parce que nous en avons beaucoup ri, plus tard. Il est même probable qu’il s’est souvenu de ce détail au moment de mourir ; et comme il n’avait aucun héritier il s’est dit : « Tiens, j’ai contribué à la naissance de ce petit-là, je vais lui laisser ma fortune. » (habile double sens de la phrase). De manière générale, M. Roland est totalement étranger au drame qui se joue entre les membres de sa famille et ne vit qu’au rythme des balades en bateau.


IV. Un roman psychologique ?


Maupassant publie Pierre et Jean un an après avoir écrit Le Horla (1886/87), court roman dans lequel il explore les thèmes de la folie et de l’identité. La rédaction de ses récits fait écho à l’état de santé dégradé de leur auteur.


Maupassant met en scène dans Pierre et Jean la manière dont un secret, une interrogation, peut ébranler la santé mentale d’une personne. Si Pierre ne devient pas fou, il est visiblement rongé par l’annonce de cet héritage et par la question qu’il se pose : pourquoi Jean et pas moi ? Cette interrogation se conjugue bien sûr à la jalousie qu’il éprouve déjà pour son frère (cf I). Cette question qui le taraude et le pousse également à remettre en cause des pans entiers de sa perception qu’il pensait inébranlables et notamment l’image qu’il avait de sa mère. Il s’interroge : « Non, il ne le croyait pas, il ne pouvait même se poser cette question criminelle ! Cependant il lui fallait la lumière, la certitude, il fallait dans son cœur la sécurité complète, car il n’aimait que sa mère au monde. »


Pierre va éprouver de grandes difficultés à accepter la vérité et c’est sans doute la raison pour laquelle il va torturer sa mère à coups de petites piques et de remarques. Il va essayer de la blesser comme elle l’a (involontairement) blessé. Il va également se renfermer sur lui-même parce qu’il ne peut pas parler de ce secret honteux à un étranger, parce qu’il ne peut en parler à son frère avec qui il a des relations difficiles, ni à son père qui ne se doute de rien et ni à sa mère car lui en parler confirmerait ses doutes (ou insulterait sa vertu d’épouse si ses soupçons s’avéraient infondés). La découverte de cet adultère va également amplifier la jalousie qu’il éprouve pour son frère pour au moins deux raisons : la première c’est l’affection de mère, la deuxième c’est l’héritage (et donc l’argent).


Conclusion


Pierre et Jean est un roman court et efficace et peut être une très bonne introduction à l’œuvre de Maupassant. Encore une fois l’intrigue n’est pas originale mais ce n’est pas là le but de Maupassant et c’est d’ailleurs toute sa philosophie d’écrivain que d’écrire sur le destin de personnages assez banals.


Et toi, est-ce que tu as lu Pierre et Jean ? Qu’est-ce que tu en as pensé ? N’hésite pas à laisser un commentaire (ça fait toujours plaisir ;)) et à partager cette analyse.



Bibliographie

MAUPASSANT (G.), Pierre et Jean, Éditions Belin/Éditions Gallimard


Pour aller plus loin

MAUPASSANT (G.), Le Petit, 1883 (nouvelle)

MAUPASSANT (G.), L’héritage, 1884 (nouvelle)

L’introduction de Pierre et Jean dans laquelle Maupassant explique sa conception du roman

Passage de la Bible sur Cain et Abel, Ancien Testament « Genèse » 4 1-16

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