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"1984", George Orwell (1949)

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021


Concepts : TOTALITARISME – HISTOIRE – MEMOIRE – LANGAGE - GUERRE



Bienvenue sur le tout premier post d'Éclaire ta lanterne ! Aujourd'hui j'ai choisi de vous faire partager quelques éléments de réflexion sur un ouvrage cauchemardesque d'une très grande actualité : 1984, de George Orwell (1949).


Si vous ne devez retenir que quelques informations essentielles sur George Orwell (1903-1950) ce seraient celles-ci : il a pris des positions anti-impérialistes, anti-fascistes et antitotalitaires. Il a par ailleurs participé à la guerre civile espagnole (1936-1939), au côté des forces républicaines.

1984 décrit une société dystopique c’est-à-dire une « société imaginaire régie par un pouvoir totalitaire ou une idéologie néfaste, telle que la conçoit un auteur donné. » On y suit le parcours de Winston Smith qui vit à Londres où il travaille au ministère de la Vérité. Le monde où il évolue a connu la guerre nucléaire et se compose de trois ensembles géographiques : l’Océania, l’Eurasia et l’Estasia. La guerre y est perpétuelle mais les alliances changent régulièrement.

G. Orwell décrit précisément dans 1984 une société sous le joug d’un régime totalitaire. Je m’appuie ici sur les caractères du système totalitaire tels que théorisés par Carl Joachim Friedrich et Zbigniew Brzezinski (1956):

  1. Une idéologie d’État obligatoire

  2. Un parti unique, qui encadre les masses

  3. Le monopole de la violence

  4. Un quasi-monopole des moyens de communication

  5. Une terreur de masse

  6. Une direction centralisée de l’économie

Je vais m’attacher à vous présenter plusieurs concepts que l’on retrouve dans cette œuvre de G.Orwell et vous convaincre que l’œuvre orwellienne peut vous servir à analyser le monde d’aujourd’hui. C’est parti.

I. Une société hiérarchisée sous contrôle


A. Un système pyramidal encadré, cimenté autour d’un chef suprême

La société de l’Océania est organisée selon une structure pyramidale et inégalitaire composée de trois groupes :

  • Le parti intérieur (env. 1% de la population) : ce sont les dirigeants du parti qui bénéficient de privilèges (cf personnage d’O’Brien dans le livre)

  • Le parti extérieur (environ 18% de la population) : Winston appartient à ce groupe qui est donc celui sur lequel Orwell fournit le plus de détails. Les membres du parti extérieur constituent la tranche de la population la plus surveillée (on y reviendra plus en détails dans la partie suivante)

  • Les prolétaires (environ 80% de la population soit l’immense majorité de la population) : Selon le régime en place « les animaux et les prolétaires sont libres ». Ils sont donc moins surveillés et encadrer que les membres du parti intérieur. Le régime ne se donne pas la peine de les surveiller car il les pense incapables de se révolter.

Hors de la pyramide, mais au sommet de tout, il y a la figure de Big Brother. Physiquement absent du roman, il est malgré tout omniprésent grâce aux affiches illustrant son portrait placardées un peu partout.

La cimentation de la population autour de Big Brother se fait de plusieurs manières :

  1. Grâce à un culte de la personnalité assez classique : il est le leader suprême du parti unique à qui il faut systématiquement rendre hommage.

  2. Grâce à l’ennemi extérieur : la menace extérieure, et donc la guerre, est permanente. C’est tantôt l’Eurasia, tantôt l’Estasia, qui sert ce déchainement de haine. Il faut serrer les rangs autour du leader qui protège la population.

  3. Grâce à l’ennemi intérieur : le régime fait émerger la figure d’un ennemi interne en la personne du « traître » Emmanuel Goldstein présenté comma la seule et unique source aux problèmes de la population. S’il sert de bouc émissaire (et donc contribue à la popularité de Big Brother) il est aussi une figure d’espoir pour Winston car il aurait créé un groupe de résistance, « la Fraternité » qui lutterait quelque part pour une autre société.

B. Une surveillance constante

Winston vit dans une société où la surveillance est permanente et présente plusieurs caractéristiques :

  1. Elle est symbolique : l’omniprésence du portrait de Big Brother donne l’impression qu’il surveille tout le monde en permanente « Big Brother is watching you ».

  2. Elle est technologique : des écrans et caméras sont disposés dans la rue mais aussi dans les habitations.

  3. Elle est humaine : les membres de la société assurent eux-mêmes la surveillance d’autrui. Ils ont le devoir de dénoncer tout comportant déviant et donc, dangereux. Les enfants sont également enlevés à leurs parents pour être élevés dans l’idéologie du parti et opérationnels à dénoncer « le crime de la pensée ».

La notion de plaisir est inexistante. Quand les citoyens ne travaillent pas, ils s’adonnent à des loisirs encadrés par le parti. L’activité sexuelle n’est pas associée à l’amour ou au plaisir mais est réduit à l’acte de reproduction afin d’alimenter les rangs du parti.

Toutes ces mesures contribuent à l’isolement « intérieur » de l’individu. Si les contacts avec d’autres personnes sont récurrents, ils sont totalement superficiels. Comment nouer des relations sociales dans un tel climat de suspicion ? Quelle place pour la cellule familiale vos enfants sont en fait des espions à domicile ? Comment nouer des relations amicales ou amoureuses dans une défiance ambiante ?

II. Une société sans passé, incapable de se penser


A. Une réécriture systématique de l’Histoire

Un individu, comme un peuple, ne peut pas savoir qui il est s’il ne connait pas son histoire.

1984 met en scène une réécriture continuelle du passé. Winston, en tant qu’employé du Ministère de la Vérité, contribue à cette réécriture historique en supprimant toutes mentions écrites de choses contraires à la situation actuelle. Exemple : si Big Brother n’a pas promis que la ration de pain augmenterait et qu’un communiqué antérieur de deux ans affirmait le contraire, alors ce communiqué doit disparaitre.

Un autre point intéressant dans 1984 est le rapport individuel à l’Histoire. Vous vous êtes surement déjà trouvé dans une situation où vous vouliez en savoir plus sur un évènement historique donné et vous vous êtes dit que ce serait une excellente idée de trouver un témoin de cette époque pour en savoir plus. Winston est comme vous. Pour connaitre la vie avant la Révolution, il recherche des personnes ayant vécu à cette époque. Il interroge ainsi un vieil homme, s’attendant à l’entendre faire un panorama de la société de l’époque, mais il lui répond que la seule chose dont il se rappelle se sont « les hauts de forme ».

Les survivants de l’ancien monde « se rappelaient un millier de choses sans importance : une querelle avec un collègue, la recherche d’une pompe à vélo perdue, l’expression de visage d’une sœur morte depuis longtemps, les tourbillons de poussière par un matin de vent d’il y a soixante-dix ans, mais tous les faits importants étaient en dehors du champ de leur vision. Ils étaient comme des fourmis. Elles peuvent voir les petits objets, mais non les gros. »

B. Le novlangue ou l’impossibilité de penser

Dans ce roman, les mots sont vidés de leur sens puisque leur emploi défit toute logique :

  • Le Ministère de la Vérité produit des mensonges.

  • Le Parti diffuse des slogans tels que « la guerre c’est la paix », « la liberté c’est l’esclavage », « l’ignorance c’est la force ».

  • Le ministère de la Paix s’occupe de la guerre.

  • Le ministère de l’Abondance met en place le rationnement.

  • Les camps de travaux forcés sont « les camps de la joie ».

Et j’en passe…

De plus, le parti s’emploie à créer une nouvelle langue « le novlangue ». Elle présentera moins de mots, ne contiendra aucune nuance et actera la disparition de certains concepts. Pourquoi ce choix ? Parce que les mots permettent d’articuler une pensée. C’est pourquoi de nouveaux mots apparaissent sans cesse, pour décrire de nouvelles réalités. Illustration légère : comment pourriez-vous parler de la pêche si les mots « pêche », « pêcheur », « poisson », « loisirs », « canne à pêche », « épuisette », « filets », « ligne », n’existaient pas ? Vous saisissez l’idée ? C'est comme lorsque vous souhaitez vous exprimez en allemand mais que vous avez pris espagnol LV2 (par exemple).

Si le régime politique de 1984 condamne ce qu’il appelle le « crime de la pensée », l’entrée en vigueur du novlangue empêchera la possibilité même de ce crime. Comment exprimer une pensée, ne serait-ce que dans votre tête, contraire à la ligne de parti si aucun mot n’existe ? Ce serait impossible. Le régime aurait tué la pensée elle-même.

Conclusion

Comme une impression de déjà-vu en lisant ces lignes ? C’est normal. Si l’œuvre d’Orwell résonne avec les méthodes de régimes totalitaires du passé, notamment le régime hitlérien et le régime stalinien, ses réflexions demeurent très actuelles, même dans les démocraties contemporaines.

L’œuvre d’Orwell fait écho à notre présent qu’il s’agisse de la vidéo-surveillance, des télé-réalités (on peut notamment penser à l’émission de TV réalité britannique au doux nom évocateur de Big Brother) mais aussi des fake-news et du révisionnisme historique. Comment lutter ? En restant alerte et en éclairant sa lanterne ;)


Bibliographie

  • FRIEDRICH, C. J. et BRZEZINSKI Z., Totalitarian Dictatorship and Autocracy, Cambridge, Harvard University Presse, 1956.

  • ORWELL G., 1984, Éditions Gallimard, Collection Folio, édition 1972

  • Définition « dystopie », https://www.larousse.fr.

Pour aller plus loin

  • La série Black Mirror

  • Le film éponyme : 1984 (Nineteen Eighty-Four), réalisé par Michael Radford, sorti en 1984, 113 min.

  • Le documentaire : Tous surveillés : 7 milliards de suspects, réalisé par Sylvain Louvet (diffusé le 21 avril 2020 sur Arte).

  • Le documentaire : Un œil sur vous – Citoyens sous surveillance, réalisé par Alexandre Valenti, 2015.

  • Le documentaire : La fabrique du mensonge. Brexit : Référendum, mensonges et réseaux sociaux / Présidentielle : l’ombre russe ? Vaccins : les rumeurs ne meurent jamais, une série de six documentaires initiée par Félix Suffert Lopez, et réalisée par Arnaud Lievin et Elsa Guiol, 2019.



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